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PIERRE QUI ROULE

« Dès le début de la guerre, j’ai offert mes services. Je savais bien que j’étais trop vieux pour m’enrôler comme simple soldat ; mais j’ai un brevet de capitaine dans la milice canadienne, et je me figurais que l’expérience acquise naguère en face de l’ennemi sur le sol virginien, et plus tard en Canada, lors des invasions féniennes, compterait pour quelque chose et autoriserait une exception en ma faveur. Je me trompais.

« Mes offres de service n’ont pas été refusées de prime abord. On m’a couvert de fleurs (de rhétorique), mais on ne m’a pas conduit au supplice, ce qui n’est pas « fair », comme on dit à l’Académie.

« J’ai failli partir avec le 22ième. J’avais même dédié à ce régiment une chanson intitulée « Pour la France ». C’est peut-être pour cela qu’on n’a pas voulu de moi. Si je ne me suis pas embarqué alors, c’est qu’on a fini par me dire qu’il n’y fallait pas songer.

« Plus récemment, il a été fortement question de mon entrée dans le 23ième bataillon commandé par le colonel de Salaberry. Cette fois, je me suis bien gardé de faire une chanson, mais on m’a fait subir un examen médical, et l’on m’a découvert un tas de maladies dont je n’ai jamais souffert, mais qui sont là, à l’état latent, qui me guettent tout simplement pour m’empêcher d’être soldat.

« Ainsi, j’ai 69 ans ; maladie incurable, qui ne pardonne pas et que tous les examens médicaux du monde ne sauraient guérir. Eh ! bien, on aurait dû faire cette guerre-là il y a vingt-cinq ans, et alors j’aurais été bon pour le service.

« Lorsqu’il s’agit de décrire la couleur de mes cheveux, le médecin se borne à dire que je suis chauve, ce qui me fait ressembler au défunt Charles du même nom. Cette description m’a paru insuffisante. Des cheveux je n’en ai pas à revendre, Dieu le sait. J’en ai même si peu que j’en achète parfois, car la bien-