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PIERRE QUI ROULE

été tenu bien longtemps en laisse, pour offrir comme cela, coup sur coup deux primes d’encouragement aux aventuriers qui l’exploitent.

« Parmi mes articles publiés dans les Laurentides, j’en retrouve plusieurs qui me rappellent que le vieux levain de haine francophobe n’a jamais cessé de fermenter chez les Anglais du Canada. Héritiers de la politesse et de la courtoisie françaises, nous avons eu le tort de manifester ces deux excellentes qualités surtout dans nos relations avec les éléments hostiles à notre race.

« Nous ne nous sommes pas contentés de les cultiver chez nous dans nos rapports sociaux. C’est collectivement que nous avons voulu être polis, au point de fournir à nos ennemis l’occasion d’attribuer à la pusillanimité nos excès de prévenances et d’obséquieuse indulgence. Entre Canadiens nous sommes loin d’être trop polis. Au contraire on dirait que nous affectons vis-à-vis des nôtres une raideur et un sans-gêne qui frisent parfois l’impertinence.

« C’est l’un des mauvais effets de notre contact journalier avec la race prétendue supérieure. Nous gardons nos bons procédés pour les godems qui ne nous en savent aucun gré, et ce sont nos propres compatriotes qui ont à souffrir de toute la mauvaise humeur résultant de notre frottement avec des étrangers en proie à cette maladie chronique qu’on appelle le spleen.

« Il semblerait que les Anglais devraient au moins nous savoir gré de ce travers contre nature, si ridicule qu’il soit ; car enfin ce sont eux qui profitent de cette aberration. Il n’en est rien. On dirait au contraire que notre passivité les exaspère et qu’ils puisent dans notre coupable indulgence une recrudescence de fureur agressive. Ils ont souvent changé de prétexte pour nous attaquer ; leur mobile a toujours été le même.