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quet et s’éloigna. Il s’aperçut alors seulement à son grand étonnement que la nuit l’avait surpris dans ses rêveries. Tout était sombre et tranquille autour de lui, et la figure de Fénitchka lui avait paru si pâle et si frêle pendant les quelques secondes qu’elle s’était montrée sous le berceau. Il se leva pour rentrer ; mais son cœur attendri n’avait pas encore eu le temps de s’apaiser, et il se mit à marcher lentement dans le jardin, tantôt en baissant les yeux, tantôt en les levant au ciel qui fourmillait déjà d’étoiles scintillantes. Il se promena longtemps, presque jusqu’à en éprouver de la fatigue, et pourtant le trouble intérieur, l’inquiétude secrète qui l’agitaient ne pouvaient se dissiper. Oh ! comme Bazarof se serait moqué de lui s’il avait connu son état ! Arcade lui-même l’aurait blâmé. Ses yeux étaient mouillés de larmes, de larmes qui coulaient sans motif ; pour un homme de quarante ans, un maître de maison et un agronome, c’était encore cent fois pis que de jouer du violoncelle. Kirsanof continuait à se promener, et ne pouvait se décider à rentrer dans son nid paisible, dans cette maison qui le rappelait si affectueusement par ses fenêtres éclairées ; il ne se sentait pas le courage de quitter le jardin et l’obscurité, de renoncer à l’impression de l’air frais sur son visage, à cette tristesse, à cette agitation…

Il rencontra Paul au détour d’un sentier.

— Qu’as-tu donc ? lui demanda celui-ci ; tu me parais pâle comme un spectre. Serais-tu malade ? Tu ferais bien de te coucher.