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sonnalité humaine doit être résistante comme un roc, car tout repose sur cette base. Je sais fort bien que vous trouvez risibles mes manières, mon costume, jusqu’à mes habitudes de propreté ; mais tout cela découle du respect de soi-même, du sentiment du devoir, oui, oui, monsieur, du devoir. J’habite le fond de la province, mais je ne m’abandonne pas pour cela, je respecte l’homme en ma personne.

— Permettez, Paul Petrovitch, lui répondit Bazarof ; vous dites que vous vous respectez, et vous restez assis les bras croisés ; quel avantage cela procure-t-il au bien public ? Vous ne vous respecteriez pas, que vous n’agiriez pas autrement.

Paul Petrovitch pâlit.

— C’est une toute autre question, reprit-il ; il ne me convient nullement de vous expliquer maintenant pourquoi je reste les bras croisés, comme vous voulez bien le dire. Je voulais me borner à vous rappeler que l’aristocratie repose sur un principe, et que les hommes immoraux ou sans aucune valeur sont les seuls qui puissent vivre de nos jours sans principes. Je le disais à Arcade le lendemain de son arrivée, et je ne fais que vous le répéter aujourd’hui. N’est-ce pas vrai, Nicolas Petrovitch ?

Kirsanof fit de la tête un signe d’assentiment.

— Aristocratie, libéralisme, principes, progrès, répétait en attendant Bazarof. Que de mots étrangers à notre langue, et parfaitement inutiles ! Un vrai Russe n’en voudrait pas pour rien.