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mon cher monsieur (Bazarof leva les yeux sur Paul), rappelez-vous, mon cher monsieur, répéta-t-il avec hauteur, les aristocrates anglais. Ils ne cèdent pas un iota de leurs droits, et n’en respectent pas moins les droits des autres ; ils exigent ce qui leur est dû et ne manquent jamais eux-mêmes à ce qu’ils doivent aux autres. L’aristocratie a donné la liberté à l’Angleterre et elle en est le plus ferme appui.

— C’est une vieille chanson que nous avons souvent entendue, répondit Bazarof ; mais que prétendez-vous prouver par cela ?

— Je prétends prouver par ça, mon cher monsieur — (Paul, lorsqu’il se mettait en colère, employait certaines locutions familières, quoiqu’il sût fort bien qu’elles étaient défectueuses. Cette habitude remonte au règne de l’empereur Alexandre. Les grands seigneurs de l’époque, lorsqu’il leur arrivait de parler leur langue maternelle, affectaient une prononciation vicieuse comme pour donner à entendre qu’en leur qualité de grands seigneurs il leur était permis de dédaigner les règles de la grammaire, imposées aux écoliers) — je prétends prouver par ça que, sans la conscience de sa propre dignité, sans le respect de soi-même, et ces sentiments sont familiers à l’aristocratie, il ne saurait exister de solides fondements pour le… bien public[1]… pour l’édifice public. L’individu, la personnalité, mon cher monsieur, voilà l’essentiel ; la per-

  1. En français dans le texte.