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de nos jours au romantisme, à la poésie ? Donne-lui quelque bon livre à lire.

— Que pourrait-on lui donner ? demanda Arcade.

— On pourrait commencer par le Stoff und Kraft[1], de Buchner, par exemple.

— J’y pensais, reprit Arcade ; ce livre est facile à comprendre.

— Nous voilà jugés, dit Kirsanof le même soir à son frère, qu’il était venu trouver dans son cabinet ; nous ne sommes plus bons qu’à être mis sous la remise, nous avons fini notre chanson. Après tout, Bazarof a peut-être raison. Ce qui me chagrine dans tout ceci, c’est que j’espérais précisément me rapprocher étroitement et amicalement d’Arcade, et voilà que je me trouve arriéré ; il m’a devancé, et nous ne pouvons plus nous comprendre.

— Comment t’aurait-il devancé ? et qu’est-ce qui le distingue tant de nous autres ? s’écria Paul avec impatience ; c’est ce monsieur, ce nihiliste qui lui a fourré tout cela dans la tête ! Je ne peux pas souffrir ce carabin ; c’est un vrai charlatan, à mon avis ; je suis sûr que malgré toutes ses grenouilles il n’en sait pas long, même en physique.

— Non, mon frère, je crois que tu te trompes, lui répondit Kirsanof ; il est intelligent et instruit.

— Et quel amour-propre ! C’est vraiment révoltant ! continua Paul.

  1. Ouvrage destiné à populariser les principes de l’école matérialiste moderne en Allemagne.