Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur complète oisiveté et leur paresse sans exemple. C’est avec deux ou trois chimistes de cette force, ne sachant point distinguer l’oxygène de l’azote, mais critiquant tout et très-satisfaits d’eux-mêmes, que Sitnikof, accompagné du grand Elissévitch et se disposant aussi à mériter ce titre honorable, se traîne à Pétersbourg et continue, suivant son expression, l’œuvre de Bazarof. On assure qu’il a été rossé, il y a peu de temps, mais non sans prendre sa revanche ; il a donné à entendre, dans un obscur article, qui a paru dans un obscur journal, que son agresseur était un poltron. Il nomme cela de l’ironie. Son père le fait aller comme d’habitude ; sa femme le traite d’imbécile et de littérateur.

Il existe un petit cimetière dans un des recoins les plus éloignés de la Russie. Ainsi que presque tous les cimetières chez nous, il présente un aspect des plus tristes ; les fossés qui l’entourent sont depuis longtemps comblés et envahis par les herbes, les croix de bois gisent à terre ou se tiennent à peine, toutes penchées sous les petits toits jadis peints qui les surmontent ; les pierres funéraires sont déplacées comme si quelqu’un les poussait par-dessous ; deux ou trois arbres presque dépouillés de leurs feuilles donnent à peine un peu d’ombre ; des moutons paissent entre les tombes… Cependant il en est une que la main de l’homme respecte, que les animaux ne foulent point aux pieds ; les oiseaux seuls viennent s’y poser et chanter chaque matin aux premières lueurs du jour. Une grille de fer