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cendrier en argent ayant la forme d’un lapot[1] de paysan. Nos touristes le recherchent beaucoup. Matveï Ilitch Koliazine, qui s’est placé momentanément dans les rangs de l’opposition, lui a fait une visite solennelle en se rendant aux eaux de Bohême ; et les habitants de la ville, avec lesquels il n’a point, du reste, de rapports suivis, semblent lui porter une sorte de vénération. Personne ne peut obtenir aussi facilement que le « Herr baron von Kirsanof, » un billet d’entrée à la chapelle de la cour, une loge, etc. Il fait toujours autant de bien que possible, et toujours un peu de bruit ; ce n’est pas en vain qu’il a été un lion autrefois ; mais la vie lui est à charge, plus encore qu’il ne le soupçonne. Il suffit de le voir à l’église russe, lorsque, se tenant à l’écart, appuyé contre le mur, il se met à rêver et reste immobile, les lèvres amèrement serrées ; puis, se secouant tout à coup, il commence à se signer d’une façon presque imperceptible.

Madame Koukchine a fini aussi par quitter le pays. Elle est actuellement à Heidelberg, et n’y étudie plus les sciences naturelles, mais l’architecture. Elle y a découvert, à ce qu’elle dit, de nouvelles lois. Comme autrefois, elle hante les étudiants et surtout les jeunes physiciens et les chimistes russes, dont Heidelberg est rempli, et qui, après avoir stupéfié les naïfs professeurs allemands dans les premiers temps de leur séjour par la rectitude de leur jugement, les stupéfient encore bien plus, peu de temps après, par

  1. Chaussure en écorce de bouleau.