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ces romantiques grisonnants ! Ils donnent à tout leur système nerveux un tel développement, que l’équilibre se trouve rompu. Allons ! il faut nous coucher. J’ai dans ma chambre une aiguière anglaise, et la porte ne ferme pas. Cependant il ne faut pas en faire fi ! je parle de l’aiguière anglaise. C’est un progrès !

Bazarof s’éloigna, et Arcade éprouva un grand sentiment de bien-être qui s’empara de lui.

Il est doux de s’endormir sous le toit paternel, et dans un lit bien connu, sous une couverture qui a été cousue par des mains amies, peut-être par celles de la bonne nourrice qui a élevé votre enfance, ces mains affectueuses et infatigables ! Arcade se rappela Yégorovna, et il lui souhaita les joies des bienheureux… ; il ne pria point pour lui-même.

Les deux amis s’endormirent bientôt ; mais il n’en fut pas de même de plusieurs autres habitants de la maison. Kirsanof avait été fort agité par le retour de son fils. Il se coucha, mais n’éteignit pas sa lumière ; il se mit à réfléchir longuement, la tête appuyée sur la main. Son frère resta dans son cabinet jusqu’à une heure avancée de la nuit, étendu dans un large fauteuil, devant une cheminée remplie de charbon de terre qui brûlait faiblement. Paul ne s’était pas déshabillé ; il avait seulement changé ses bottines vernies pour des pantoufles chinoises rouges sans talons. Il tenait à la main le dernier numéro du Galignani, mais il ne le lisait pas. Ses yeux étaient arrêtés sur le foyer de la cheminée, où une flamme bleuâtre vacillait par mo-