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Madame Odintsof sortit sans bruit.

— Eh bien ?… lui demanda Vassili Ivanovitch à demi-voix.

— Il s’est endormi, répondit-elle encore plus bas.

Bazarof ne devait plus se réveiller. Il perdit complètement connaissance dans la soirée, et mourut le lendemain. Le père Alexis lui rendit les derniers devoirs. Lorsqu’on lui donna l’extrême-onction, lorsque l’huile consacrée coula sur sa poitrine, un de ses yeux s’ouvrit, et on eût dit qu’à la vue de ce prêtre dans son costume sacerdotal, de cet encensoir fumant et de ces cierges allumés devant les images, quelque chose qui ressemblait à un frémissement de terreur passa sur sa figure décomposée… mais cela ne dura qu’un instant. Quand il eut rendu le dernier soupir et que la maison retentit de gémissements, Vassili Ivanovitch fut saisi d’un transport subit. — J’avais promis de me révolter ! criait-il d’une voix enrouée, la figure enflammée et bouleversée, les poings levés comme s’il eût menacé quelqu’un en l’air ; — et je me révolterai ! je me révolterai !

Mais Arina Vlassievna tout en larmes se pendit à son cou, et ils tombèrent ensemble la face contre terre, « absolument comme deux agneaux, » raconta ensuite Anfisouchka dans l’antichambre, « comme deux agneaux au plus fort de la chaleur ; » ils se prosternèrent en même temps et côte à côte.

Mais la chaleur du jour passe et le soir vient, et ensuite la nuit, la nuit qui ramène dans un tranquille asile tous les éprouvés et les fatigués…