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— Grand Dieu ! c’est incroyable ; tout médecin doit en être pourvu !

— Si tu avais pu voir ses lancettes ! reprit Bazarof ; et il sortit.

Pendant le reste de la journée et le lendemain, Vassili Ivanovitch imagina toutes sortes de prétextes pour entrer dans la chambre de son fils ; et, quoiqu’il ne lui parlât point de sa blessure, et s’efforçât même de causer de choses insignifiantes, il le regardait si fixement et observait tous ses mouvements avec tant d’inquiétude, que Bazarof perdit patience et le menaça de s’en aller. Vassili Ivanovitch lui promit de ne plus se tourmenter, d’autant mieux qu’Arina Vlassievna à laquelle il n’avait, bien entendu, rien confié, commençait à insister auprès de lui pour savoir pourquoi il paraissait inquiet et ne fermait pas l’œil de la nuit. Il tint bon pendant deux jours, quoique la figure de son fils, qu’il observait constamment à la dérobée, ne le rassurât nullement ; mais le troisième jour il ne put plus se contenir. On était à table, et Bazarof, qui tenait les yeux baissés, ne mangeait rien.

— Pourquoi ne manges-tu pas, Eugène ? lui demanda son père, en prenant un air indifférent. Ces plats me semblent pourtant bien accommodés ?

— Je ne mange pas parce que je n’ai pas envie de manger.

— Tu n’as pas d’appétit ? Et la tête, ajouta-t-il, te fait-elle mal ?

— Oui. Pourquoi n’y aurais-je pas mal ?