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qu’ils ne l’attendaient point. Arina Vlassievna en fut tellement bouleversée qu’elle ne faisait que courir dans la maison ; son mari finit par la comparer à une perdrix ; la petite queue retroussée de sa camisole lui donnait effectivement quelque ressemblance avec un oiseau. Vassili Ivanovitch lui-même grognait continuellement avec satisfaction en suçant du coin de sa bouche le bout d’ambre de sa pipe ; puis, se prenant le cou avec ses doigts, il tournait convulsivement la tête comme pour s’assurer qu’elle était bien en place, et ouvrant tout à coup la bouche toute grande, il se mettait à rire sans bruit.

— J’arrive pour six semaines au moins, mon vieux, lui dit Bazarof, je veux travailler et j’espère que tu me laisseras en paix.

— Tu oublieras ma physionomie ; voilà à quel point je te gênerai ! répondit Vassili Ivanovitch.

Il ne manqua pas à sa promesse. Ayant établi son fils, comme la première fois, dans le cabinet, il semblait presque se cacher de lui, et empêchait sa femme de s’abandonner à son égard à une sensibilité trop démonstrative.

— Je crois bien, lui disait-il, que nous avons un peu ennuyé Eniouchenka pendant son premier séjour ; il faut nous montrer plus sages maintenant.

Arina Vlassievna approuvait son mari, mais elle n’y gagnait pas grand’chose, car elle ne voyait son fils qu’au moment des repas et craignait de lui adresser la parole. — Eniouchenka, — lui disait-elle, et celui-ci