Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sensation que chacun doit connaître, et dont le charme consiste dans l’observation silencieuse et presque machinale du puissant flot de vie qui s’épanche continuellement autour de nous et en nous-même.

Le lendemain de l’arrivée de Bazarof, Katia était assise sur son banc favori, et Arcade se trouvait de nouveau auprès d’elle. Elle avait consenti à se rendre avec lui sous le portique. Il ne restait plus qu’une heure jusqu’au déjeuner ; la chaleur du jour n’avait pas encore remplacé la fraîcheur matinale. La figure d’Arcade conservait la même expression que la veille ; Katia paraissait préoccupée. Sa sœur l’avait appelée dans son cabinet aussitôt après le thé, et l’ayant d’abord caressée, ce qui effrayait toujours un peu Katia, elle lui conseilla d’être plus circonspecte dans sa conduite à l’égard d’Arcade, et surtout d’éviter les tête-à-tête avec lui, sa tante et toute la maison ayant remarqué ces a parte trop fréquents. En outre, déjà, la veille au soir, Anna Serghéïevna avait été mal disposée, et Katia elle-même se sentait agitée, comme si elle eût été coupable. En cédant au vœu d’Arcade, elle s’était promis que ce serait pour la dernière fois.

— Katerina Serghéïevna, dit tout à coup Arcade, avec je ne sais quel mélange d’assurance et de timidité, — depuis que j’ai le bonheur de vivre sous le même toit que vous, j’ai causé avec vous de bien des choses, et pourtant j’ai laissé de côté une question… qui est très-importante pour moi. Vous avez fait hier la remarque que l’on m’avait changé ici, ajouta-t-il