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avec une énergie subite, tandis que des sanglots prêts à éclater gonflaient son cou ; — et quant à ce que vous avez vu, je déclarerai au jour du jugement dernier que je n’ai pas à me le reprocher ; plutôt mourir tout de suite, s’il le faut, que d’être soupçonnée d’une chose aussi affreuse que d’avoir manqué à mon bienfaiteur Nicolas Petrovitch…

Sa voix s’éteignit, et elle sentit au même instant que Paul lui saisissait sa main et la pressait avec force… Elle le regarda et demeura pétrifiée. Il était encore plus pâle qu’auparavant ; ses yeux étincelaient ; et, ce qu’il y avait de plus surprenant encore, une larme pesante et solitaire coulait lentement sur sa joue.

— Fenitchka ! dit-il d’une voix étranglée et sourde ; aimez ! aimez mon frère ! Il est si bon, si digne d’affection ! Ne le changez pour personne au monde, et n’écoutez les conseils de personne ! Rien n’est plus affreux, sachez-le bien, que d’aimer sans retour ! Restez toujours fidèle à mon pauvre Nicolas !

Les larmes de Fenitchka se séchèrent, et son effroi se dissipa, tant sa surprise était grande. Mais que dut-elle éprouver lorsque Paul lui prit la main et la pressa contre ses yeux ; puis la reprit et l’approcha de sa bouche, sans la baiser, mais en poussant de temps en temps un soupir convulsif…

— Grand Dieu ! se dit-elle ; il va peut-être avoir une attaque.

Elle ne se doutait pas que dans cet instant tout le