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tion » causait un sentiment d’impatience. — S’il en était autrement, je vous prierais de le saluer de ma part et de lui exprimer tout le regret que j’éprouve.

— Et moi aussi, je vous demande… répondit Kirsanof en saluant ; mais Bazarof n’attendit pas la fin de la phrase et sortit.

Ayant appris que Bazarof allait partir, Paul exprima le désir de le voir et lui serra la main, mais Bazarof se montra suivant son ordinaire froid comme glace ; il comprenait fort bien que Paul voulait faire de la grandeur d’âme. Il ne put point prendre congé de Fenitchka ; il se borna à échanger un regard avec elle à la fenêtre. Elle lui parut triste. « Elle ne saura peut-être pas s’en tirer ? » se dit-il… « Pourquoi pas, après tout ? » Quant à Pierre, il s’attendrit à un tel point qu’il pleura contre l’épaule de Bazarof jusqu’au moment où celui-ci le calma en lui demandant « si ses yeux n’étaient pas plantés dans un endroit humide ? » et Douniacha fut obligé de courir dans le bois pour cacher son émotion. Celui qui causait toutes ces douleurs grimpa sur une téléga, alluma un cigare ; et, lorsque, à quatre verstes de là, au tournant du chemin, il découvrit pour la dernière fois la maison de Kirsanof et toutes ses dépendances, il cracha[1] en murmurant entre ses dents : « maudits gentillâtres ! » et s’enveloppa dans son manteau.

  1. Signe de mépris et de dédain chez les Russes, comme chez les orientaux.