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d’habitude. On eût dit que Fenitchka avait disparu de ce monde ; elle se tenait dans sa chambre comme une souris dans son trou. Kirsanof avait l’air soucieux ; il venait d’apprendre que la nielle commençait à gagner son froment, sur lequel il fondait de grandes espérances. Paul pesait sur tout le monde par sa politesse glaciale, même sur Procofitch. Bazarof commença une lettre pour son père ; mais il la déchira et la jeta sous la table. « Si je meurs, pensa-t-il, ils le sauront ; mais je ne mourrai pas. Oui, je traînerai encore longtemps sur cette terre. » Il donna ordre à Pierre de venir le trouver le lendemain à l’aube du jour, pour une affaire importante ; Pierre se figura qu’il voulait l’emmener à Pétersbourg. Bazarof se coucha tard, et des rêves bizarres le tourmentèrent toute la nuit… Madame Odintsof tournait devant ses yeux ; elle était en même temps sa mère ; un petit chat à moustaches noires la suivait, et ce petit chat était Fenitchka. Il voyait Paul Sous la forme d’un grand bois, et n’en était pas moins tenu à se battre contre lui. Pierre le réveilla à quatre heures du matin ; il s’habilla et sortit immédiatement avec lui.

La matinée était magnifique, et plus fraîche que les jours précédents. De petits nuages bigarrés couraient en flocons sur l’azur pâle du ciel ; une rosée fine couvrait les feuilles des arbres, les toiles d’araignées étincelaient comme de l’argent sur les herbes ; le sol humide et foncé semblait encore garder quelques traces des premières rougeurs du jour ; le chant des alouettes descendait de