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ne se donna pas même la peine d’en compter les calmes pulsations.

— Vous vivrez cent ans, dit-il en lâchant sa main.

— Ah ! Dieu m’en préserve ! s’écria-t-elle.

— Pourquoi ? Vous ne vous souciez donc pas de vivre longtemps ?

— Cent ans ! Ma grand’mère a vécu jusqu’à quatre-vingts ans ; et c’était un vrai martyre ! Toute noire, sourde, contrefaite, toujours toussant ; vraiment à charge à elle-même. Est-ce vivre cela ?

— Il vaut donc mieux être jeune ?

— Je le crois bien !

— Et pourquoi ? Dites-moi ça.

— Comment ? mais me voilà par exemple ; je suis encore jeune, et je peux tout faire ; je vais, je viens, je me sers et n’ai besoin de personne… Que faut-il de plus ?

— Quant à moi, que je sois jeune ou vieux, peu m’importe ; cela m’est égal.

— Comment pouvez-vous dire que cela vous est égal ? Il est impossible que vous le pensiez.

— Je vous en fais juge, Fedossia Nikolaïevna : à quoi me sert la jeunesse ? Je vis seul, en vrai orphelin…

— Cela dépend de vous.

— C’est ce qui vous trompe. Personne ne veut s’apitoyer sur moi.

Fenitchka le regarda à la dérobée, mais ne lui répondit pas.