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difficile de s’en procurer de bons dans ce pays éloigné de la capitale.

— Finis donc de chanter misère, lui dit Bazarof ; assieds-toi plutôt sur ce divan, et laisse-moi te regarder.

Vassili Ivanovitch s’assit en riant. Il ressemblait beaucoup à son fils ; seulement son front était plus bas et plus étroit, sa bouche un peu plus large, et il avait l’habitude de remuer continuellement les épaules, comme si les entournures de sa redingote le blessaient ; il clignait les yeux, toussait et agitait les doigts ; son fils, au contraire, se distinguait par une sorte d’immobilité insouciante.

— Chanter misère ! répéta Vassili Ivanovitch. Ne te figure pas, Eugène, que je veuille apitoyer notre hôte. Je ne veux pas surtout lui faire entendre que nous sommes réduits à vivre dans un désert. Je pense même, tout au contraire, que pour l’homme qui réfléchit, il n’y a point de désert. En tout cas, je fais mon possible pour ne pas me laisser gagner par la mousse, comme on dit ; pour ne pas rester en arrière du siècle.

Vassili Ivanovitch tira de sa poche un foulard jaune, tout neuf, qu’il avait trouvé moyen de prendre, en se rendant dans la chambre d’Arcade ; et il continua, en l’agitant en l’air :

— Je ne me vanterai pas, par exemple, d’avoir mis mes paysans à la redevance en leur abandonnant la moitié de mes terres, quoique cela me cause des pertes très-considérables. Je le considérais comme un devoir ;