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surprise lorsque Arcade lui annonça, le lendemain, qu’il partait avec Bazarof ; elle paraissait distraite et fatiguée. Katia le regarda d’un air sérieux et ne dit rien ; la princesse se signa la poitrine sous son châle, de façon qu’il ne pût manquer de le remarquer ; quant à Sitnikof, cette nouvelle le démonta complètement. Il venait de mettre, pour le déjeuner, un habit neuf, et qui, pour cette fois, n’avait rien du slavophile ; la veille, le domestique chargé de le servir avait paru tout surpris en voyant la quantité de linge que le nouvel hôte avait apporté ; et voici que ses compagnons l’abandonnent ! Il se démena un peu avec angoisse ; un lièvre poursuivi hésite ainsi sur la lisière du bois ; puis il annonça tout à coup, d’un air effaré, presque avec un cri, qu’il se proposait aussi de partir. Madame Odintsof ne le pressa point de rester.

— Ma calèche est très-confortable, dit le malheureux jeune homme à Arcade, je peux vous ramener chez vous. Eugène Vassilitch n’a qu’à prendre votre tarantass ; c’est même beaucoup plus commode.

— Y pensez-vous ? notre campagne n’est pas du tout sur votre chemin ; vous seriez obligé de faire un grand détour.

— Ce n’est rien, j’ai beaucoup de temps à moi, et d’ailleurs mes affaires m’appellent de ce côté-là.

— Des affaires d’eau-de-vie ? répondit Arcade d’un air un peu trop méprisant.

Mais Sitnikof était si bouleversé qu’il ne se mit point à rire, suivant son habitude.