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le présenta même à sa tante et à sa sœur, il se remit bientôt à jaser comme de coutume. L’apparition de la sottise humaine a souvent son utilité en ce monde ; elle relâche les cordes trop tendues et calme des sentiments trop présomptueux et trop vains, en leur rappelant que sottise et esprit ont une origine commune et presque de l’analogie. L’arrivée de Sitnikof imprima à toutes choses, dans la maison, un tour plus commun — et plus simple ; chacun soupa même avec plus d’appétit, et on se sépara, le soir, une demi-heure plus tôt que de coutume.

— Maintenant, dit Arcade, de son lit, à Bazarof, qui se disposait aussi à se coucher, tu peux répéter ce que tu m’as dit une fois : « Pourquoi es-tu si triste ? C’est sans doute parce que tu as rempli quelque devoir sacré. »

Depuis quelque temps les deux jeunes gens avaient pris l’habitude de se taquiner d’une façon aigre-douce, signe certain d’un secret mécontentement et de soupçons qu’on veut cacher.

— Je m’en vais demain chez le père, dit Bazarof.

Arcade se redressa et s’appuya sur son coude. Cette nouvelle le surprit et le réjouit en même temps.

— Oh ! répondit-il, et c’est pour cela que tu es triste ?

— Qui veut trop savoir vieillit vite[1], dit Bazarof en bâillant.

  1. Proverbe russe.