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vous comprenais pas, et vous ne m’avez pas comprise. » En écrivant ces mots, elle se dit : « Je ne me comprenais pas moi-même en effet. »

Elle ne se montra qu’au dîner, et passa toute la matinée à marcher de long en large dans sa chambre, les mains croisées sur la poitrine, s’arrêtant par intervalles, tantôt devant la glace, tantôt devant la fenêtre, et se passant continuellement un mouchoir sur le cou ; il lui semblait y sentir une tache brûlante. Elle se demandait pourquoi elle avait « forcé » Bazarof, comme il le lui avait dit lui-même, à se déclarer, et si elle ne s’en était pas déjà doutée elle-même… « Je suis coupable, dit-elle à haute voix ; mais je ne pouvais prévoir tout cela. » Elle devint pensive et rougit, en se rappelant l’expression presque féroce qu’avait prise la figure de Bazarof lorsqu’il s’était élancé vers elle.

« Ou bien, » reprit-elle tout à coup… Et s’arrêtant soudainement, elle agita les boucles de sa chevelure… S’étant aperçue dans la glace, la tête à demi-renversée, un sourire mystérieux dans ses yeux à demi-fermés et sur ses lèvres entr’ouvertes, il lui parut que cette image lui disait quelque chose qui la remuait profondément…

« Non, non, dit-elle enfin. Dieu sait où cela aboutirait ; il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là ; la tranquillité est encore ce qu’il y a de meilleur en ce monde. »

Sa tranquillité n’était point troublée ; mais elle s’at-