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Madame Odintsof porta les mains en avant, et Bazarof s’appuya le front contre une vitre de la fenêtre. Il étouffait, un frémissement convulsif parcourait tous ses membres. Mais ce n’était point l’émotion que cause la timidité de la jeunesse, ni le doux effroi que fait naître une première déclaration ; c’était la passion qui se débattait en lui, une passion forte et pesante, ressemblant à la méchanceté, et qui n’en est peut-être pas éloignée… Madame Odintsof ressentit à la fois de la crainte et de la pitié.

— Eugène Vassilitch… dit-elle, et une tendresse involontaire se trahissait dans sa voix.

Il se retourna vivement, lui jeta un regard dévorant, et, saisissant ses deux mains avec force, il l’attira sur son sein.

Elle ne put se dégager tout de suite… Quelques secondes après, elle s’était réfugié dans un angle éloigné de la chambre.

Il s’élança vers elle…

— Vous ne m’avez pas comprise, dit-elle précipitamment d’une voix basse et toute glacée de terreur. Un pas de plus, et elle eût probablement poussé un cri ; toute son attitude l’annonçait. Bazarof se mordit les lèvres et sortit.

Une demi-heure après, une femme de chambre remit à Anna Serghéïevna un billet de Bazarof. Ce billet ne contenait qu’une ligne : « Dois-je partir aujourd’hui même, ou puis-je rester jusqu’à demain ? » Madame Odintsof répondit : « Pourquoi partir ? Je ne