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sion, mais cela ne l’avait point empêchée de revenir en Russie.

— Ce docteur est un homme étrange ! se dit-elle, couchée dans son lit magnifique, sur des oreillers de dentelles, sous un léger couvre-pieds de soie… Anna Serghéïevna avait hérité d’une petite part du goût de son père pour le luxe. Elle avait beaucoup aimé son père, tout vicieux qu’il était ; et lui, il adorait sa fille, plaisantait avec elle comme avec un ami, lui témoignait une confiance sans bornes et la consultait souvent. Elle n’avait gardé qu’un souvenir confus de sa mère.

— Ce docteur est un homme étrange ! répéta-t-elle en songeant à lui. Elle s’étendit dans son lit, sourit, passa ses bras sous sa tête ; puis, ayant parcouru des yeux deux ou trois pages d’un mauvais roman français, laissa tomber le livre, et, s’endormit, blanche, pure et froide, dans son lit parfumé.

Le lendemain matin, après le déjeuner, madame Odintsof alla botaniser avec Bazarof, et ne revint que pour le dîner ; Arcade qui n’était pas sorti, avait passé près d’une heure avec Katia. Il ne s’était pas ennuyé, elle lui avait proposé de jouer la sonate de la veille ; mais lorsque madame Odintsof fut enfin de retour, lorsqu’il l’eut revue ; — son cœur se serra immédiatement… Elle s’avançait dans le jardin d’un air un peu fatigué ; ses joues étaient roses et ses yeux avaient plus d’éclat que d’habitude sous son chapeau de paille rond. Elle tournait entre ses doigts la mince tige