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où sa femme lui donna bientôt un fils. Les deux époux menaient une vie tranquille et heureuse ; ils ne se quittaient presque jamais, jouaient ensemble sur le piano des morceaux à quatre mains, chantaient des duos. La femme cultivait des fleurs et surveillait la basse-cour ; le mari s’occupait d’agronomie et allait de temps en temps à la chasse ; Arcade, leur fils, grandissait et vivait également dans le calme et la sérénité. Dix ans se passèrent ainsi comme un rêve. Mais, en 1847, madame Kirsanof mourut. Son mari eut beaucoup de peine à supporter ce coup inattendu, et ses cheveux grisonnèrent en quelques semaines ; il se disposait à partir pour les pays étrangers afin de se distraire un peu, lorsque l’année 1848 rendit les voyages impossibles. Forcé de retourner à la campagne, il y passa quelque temps dans une inaction complète, puis se mit à introduire des réformes dans l’administration de son bien. Au commencement de l’année 1855, il conduisit Arcade à l’université de Pétersbourg et y passa trois hivers avec lui, presque sans sortir de sa maison, et cultivant la connaissance des jeunes camarades de son fils. Il ne l’avait pas rejoint pendant l’hiver de 1858, et nous le retrouvons maintenant, au mois de mai suivant, la tête déjà tout à fait blanche, replet et un peu voûté ; il attend son fils qui vient de quitter l’université, avec le titre de candidat, comme lui-même l’avait fait dans son temps.

Le domestique qui venait de lui parler gagna par convenance, ou peut-être aussi parce qu’il ne se sou-