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sa présence il se sentait un petit étudiant, un écolier, comme si la différence d’âge qui existait entre eux était beaucoup plus considérable. Matvéï Ilitch s’avança vers elle d’un air majestueux et lui adressa des compliments. Arcade s’éloigna de quelques pas, mais il continuait à l’observer ; il ne la quitta pas des yeux même pendant la contredanse. Elle s’entretenait aussi simplement avec son danseur qu’avec Matvéï Ilitch, en tournant doucement la tête et les yeux de côté et d’autre. Arcade l’entendit rire deux ou trois fois, presque sans bruit. Elle avait peut-être le nez un peu gros, comme presque toutes les femmes russes, et son teint n’était point absolument d’albâtre ; Arcade n’en décida pas moins qu’il n’avait encore jamais rencontré de beauté plus accomplie. Le son de sa voix ne lui sortait pas des oreilles ; il lui semblait que les plis de sa robe tombaient autrement que chez les femmes dont elle se trouvait entourée, avec plus de symétrie et d’ampleur, et que tous ses mouvements étaient à la fois pleins de noblesse et de naturel.

Lorsque les premiers accords de la mazourka se firent entendre, Arcade éprouva une sorte de commotion ; il s’assit à côté de sa danseuse, et ne sachant comment engager la conversation, il se bornait à passer la main dans ses cheveux. Mais ce trouble ne fut pas de longue durée ; le calme de madame Odintsof le gagna promptement ; un quart d’heure ne s’était pas écoulé qu’il l’entretenait sans aucun embarras de son père, de son oncle, de son genre de vie à Pétersbourg et à