Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous me fâcherez et je me mettrai à pleurer. Je regrette du fond de l’âme de n’être pas allée chez Daria Michaëlowna, au lieu de rester avec vous. Vous n’en valez pas la peine. Cessez donc de me contrarier, continua-t-elle d’une voix plaintive. Vous feriez mieux de me raconter quelque chose de sa jeunesse.

— De la jeunesse de Roudine ?

— Eh bien, oui. Vous m’avez dit le bien connaître, et depuis longtemps.

Lejnieff se leva et fit un tour dans la chambre.

— Oui, commença-t-il, je le connais bien. Vous voulez que je vous raconte sa jeunesse ? Eh bien, soit.

Ses parents étaient de pauvres propriétaires. Il est né à T… Son père mourut de bonne heure et le laissa seul avec sa mère. C’était une excellente femme, dont l’âme entière était absorbée par l’amour qu’elle avait pour son fils. Elle ne vivait que de pain afin d’employer tout son argent pour lui. L’éducation de Roudine s’est faite à Moscou. C’était d’abord un de ses oncles qui en payait les frais ; plus tard, lorsque Roudine eut grandi et qu’il se fut paré de toutes ses plumes… — Allons, excusez-moi, je ne le ferai plus. — Ce fut un certain prince fort riche, dont il devint l’ami ; puis Roudine entra à l’Université. C’est là que j’ai fait sa connaissance et que je me suis lié intimement avec lui. Je vous parlerai un jour de notre manière de vivre d’alors ; je ne puis le faire à présent. Roudine alla bientôt voyager.