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l’éloquence de M. Roudine, répondit Lejnieff, je dis seulement qu’il ne me plaît pas.

— L’as-tu vu ? demanda Volinzoff.

— Je l’ai vu ce matin chez Daria Michaëlowna, répondit Lejnieff. C’est lui qui est maintenant le grand vizir. Il viendra un temps où ils se brouilleront. — Il n’y a que Pandalewski qu’elle n’abandonnera jamais ; mais c’est Roudine qui règne pour le quart d’heure. Si je l’ai vu ? Comment donc ! Il y est établi. Elle lui faisait les honneurs de ma personne, comme si elle lui disait : — Voyez donc, mon ami, quelles espèces d’originaux prospèrent chez nous ! Je ne suis pas un cheval de race qu’on montre aux amateurs, moi, j’ai quitté la place.

— Et pourquoi as-tu été chez elle ?

— Pour l’arpentage ; mais c’était un prétexte ; elle voulait simplement voir ma figure.

— La supériorité de Roudine vous offense, — voilà pourquoi vous ne l’aimez pas, dit Alexandra Pawlowna avec feu, — voilà ce que vous ne pouvez lui pardonner. Et je suis persuadée que l’étendue de son esprit ne nuit pas à la bonté de son cœur. Regardez ses yeux lorsqu’il…

— Lorsqu’il parle du parfait honneur… interrompit Lejnieff en citant un vers de Griboiédoff[1].

  1. Lorsqu’il se met à parler du parfait honneur, son visage s’injecte de sang, ses yeux s’allument, ses larmes coulent, et nous — nous sanglotons. (Ces vers s’appliquent à un tartufe.)