Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

billets de dix roubles. Mais je vis bien là que ça ne sentait pas si bon… Eh bien ! en avant le devoir ! Je prends avec moi les médicaments que je tiens pour indispensables dans de telles alertes, et je pars. Je n’arrivai pas sans peine, je vous assure. Une route atroce, des ruisseaux, des neiges, des boues et, pour m’achever, une digue rompue, un malheur. Cependant j’aperçois une maison basse couverte de chaume, avec de la lumière aux fenêtres ; on nous attend. Une vieille vient à moi, une vénérable figure, en bonnet. « Sauvez-la, venez, elle se meurt. » Je dis : « Soyez calme ; où est-elle ? ― Par ici, veuillez passer. » Je regarde : une petite chambre très propre, une lampe brûle dans un coin devant l’icône. Sur le lit, une demoiselle de vingt ans sans connaissance. Elle brûle, elle respire péniblement, c’est la fièvre chaude. Près du chevet se tiennent deux autres jeunes filles, ses sœurs éplorées. On me dit : « Hier, elle allait très bien, elle avait bon appétit. Ce matin, elle souffrait d’un léger mal de tête, et ce soir, voyez. » Je dis de nouveau : « Soyez calmes. » Que voulez-vous, Monsieur, c’est le langage obligé du médecin. Je saignai la malade. Je lui fis mettre des sinapismes, j’écrivis une ordonnance. Et cependant j’examine le sujet. Monsieur, je n’avais pas