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dents, ni pour demander, ni pour se plaindre.

Après l’incendie, le pauvre abandonné se blottit chez le jardinier Mitrofane. Celui-ci ne lui dit pas : « Tu vivras chez moi, » mais il ne lui dit pas non plus : « Va-t’en. » Au reste, vivre chez le jardinier était bien au-dessus de l’ambition de Stépouchka ; il planait sur le potager. Il opérait ses mouvements et ses déplacements sans être entendu ni vu de personne ; il éternuait et toussait dans sa main, et cela d’un air très effrayé. Toujours soucieux et silencieux, il allait et venait, comme la fourmi, pour avoir à manger, seulement à manger.

En effet, si mon Stépouchka n’eût point été occupé depuis le matin jusqu’à la nuit close de sa nourriture, il serait mort de faim. Mauvaise affaire : ne pas savoir le matin si on mangera le soir. Un jour, on le voit assis derrière une palissade, dévorant un gros radis, suçant une carotte, ou bien mettant en menus morceaux un chou de rebut. D’autre fois, il geint sourdement en traînant un seau d’eau, allume du feu sous un pot, tire de sa poitrine on ne sait quoi de noirâtre et le jette dans la gamelle. Tantôt dans son recoin, il remue quelque objet en bois, puis il met des clous quelque part, se faisant peut-être un petit rayon pour son pain, et il fait