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Même aux jours de grande fête, jours de libéralité seigneuriale et de bombance où, selon l’ancienne coutume russe, on mangeait des pâtés au gruau et où l’on buvait du vin, Stépouchka ne paraissait point autour des grandes tables et des tonneaux montés sur chevalet ; il n’osait ni saluer les distributeurs, ni approcher de la main du seigneur en buvant tout d’un trait à sa santé et à sa gloire un verre rempli par la main grasse de l’intendant ; il n’aspirait à rien et n’avait rien, à moins que quelque bonne âme, en passant, ne donnât au pauvre diable le reste d’un pâté. Le jour de Pâques, tout le monde s’embrasse, et on l’embrassait comme les autres, parce qu’après tout il avait figure d’homme ; mais il ne retroussait pas sa manche graisseuse, il ne retirait pas du fond de sa basque un œuf rouge ; il ne le présentait pas en clignant des yeux et haletant aux jeunes maîtres ou à la bârinia, leur mère.

Il vivait, l’été, derrière une cage à poulets dans une grange ; l’hiver, dans l’entrée du bain villageois ; à l’époque des plus grands froids, il se hissait dans un grenier à foin. On l’avait accoutumé à toutes les humiliations, aux coups même, sans qu’il songeât à formuler une plainte ; il semblait en vérité n’avoir de sa vie desserré les