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tingua des autres, et la nomma femme de chambre attachée à sa propre personne !… Notez cela… Et, ma foi, il faut bien lui rendre cette justice, que jamais mon épouse n’avait eu une si admirable femme de chambre ; elle était serviable, modeste, obéissante, bref, très comme il faut ; aussi dois-je dire que ma femme la combla de toutes les manières : garde-robe en règle, desserte de la table, thé, en un mot tout ce qu’on peut imaginer. Voilà, Monsieur, comment elle a servi ma femme dix bonnes années durant. Tout à coup, un beau matin, Arina (c’était son nom), Arina entre, sans autre permission, droit dans mon cabinet, et boum ! elle tombe à mes pieds !… Je dois vous le dire franchement, ce sont des manières que je ne puis souffrir. L’homme, n’est-ce pas ? ne doit jamais ainsi ravaler sa dignité.

― Que me veux-tu ?

― Mon petit père Alexandre Silitch, une grâce !

― Quelle grâce ?

― Permettez que je me marie.

Je vous avouerai que je fus stupéfait.

― Mais tu sais, imbécile, que la bârinia n’a pas d’autre femme de chambre que toi.

― Je servirai la bârinia comme auparavant.