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chez lui, et aussitôt chez les étrangers, il redevenait l’Ermolka, comme on le nommait à cent verstes à la ronde, et comme il se nommait lui-même parfois. Les dvorovis se croyaient supérieurs à ce vagabond, et le traitaient familièrement, avec une nuance d’amitié. Les moujiks avaient compris son originalité et ne l’inquiétaient plus ; ils lui donnaient même du pain et causaient avec lui avec bonté.

Tel est l’homme que je m’étais adjoint pour chasser, et avec lequel je faisais la tiaga dans une grande boulaie sur la rive de l’Ista.

Beaucoup de rivières russes ont, comme la Volga, une rive haute et une rive basse ; telle est l’Ista. Cette petite rivière coule en serpentant sans rester une demi-verste en ligne droite. Par endroits, du haut de sa colline, on la voit à dix verstes avec ses digues, étangs, moulins, bordée de jardins potagers et de bosquets touffus. L’Ista est très poissonneuse ; elle abonde surtout en mulets ou cabots, que les moujiks, pendant la chaleur, prennent à la main, sous les buissons de la rive ; la petite grive couleur de sable voltige en sifflant le long des berges, qu’anime, en jaillissant çà et là, une eau froide et cristalline ; des canards sauvages apparaissent à mi-corps au milieu des étangs et regardent