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riture de l’homme. Le râle est libre dans les bois, — et il y a beaucoup d’autres êtres libres : tous les habitants des forêts, des champs, des rivières, des marais, des prairies, et d’en haut et d’en bas, il y en a beaucoup, de ces êtres. C’est un péché de les tuer. Qu’ils vivent sur la terre jusqu’au terme. L’homme a de quoi se nourrir sans les toucher. Sa nourriture est autre et sa boisson est autre, — il a le blé, don de Dieu, et l’eau du ciel, et les animaux qu’il domestiqua depuis nos pères antiques.

Je regardai avec étonnement Kassian, ses paroles coulaient d’abondance, il ne les cherchait pas, il s’animait doucement et s’exprimait avec une gravité timide en fermant les yeux par intervalles.

— Est-ce un péché aussi de tuer un poisson, d’après toi ?

— Le poisson a le sang froid, dit-il avec assurance, c’est un être muet, il ne craint ni ne jouit, il n’a pas de voix, pas de sensibilité, son sang n’est pas vivant… Le sang, poursuivit-il après un silence, le sang est une chose sainte ; le sang ne doit pas voir le soleil de Dieu. Le sang est naturellement caché à la lumière et c’est un grand péché d’exposer le sang à la lumière, c’est un grand péché ; ah ! c’est un grand péché !