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lines labourées elles-mêmes et le regard embrassait en tout au moins cinq verstes d’espace désert. Au loin, quelques massifs de bouleaux coupaient seuls, de leurs têtes arrondies, la ligne presque droite de l’horizon. D'étroits sentiers serpentaient dans les champs, entouraient les collines. Sur l’une de celles-ci, à cinq cents pas de nous, je distinguai un convoi. Ce convoi était précisément la cause de l’extraordinaire agitation de mon cocher.

C’était un enterrement. Sur le devant d’une telega, attelée d’un seul cheval qui allait au pas, se tenait assis un prêtre, à côté du prêtre le sacristain guidait ; derrière la telega, quatre moujiks tête nue portaient un cercueil recouvert d’un linceul en toile blanche ; deux babas suivaient. La voix faible et dolente de l’une d’elles parvenait jusqu’à moi : j’écoutai. Elle hurlait. C’était une chose triste que d’entendre, au milieu de ces campagnes désertes et désolées, cette cantilène monotone. Mon cocher fouetta ses chevaux. Il tenait à dépasser le convoi ; car c’est un mauvais présage, on le sait, que d’être arrêté dans son chemin par un convoi funèbre. Il réussit à dépasser le carrefour avant que le mort n’eût atteint notre route. Mais il n’était plus qu’à cent pas de nous, quand