Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épargné une trop rapide descente, quand tout à coup deux grands chiens blancs s’élancèrent contre moi avec des aboiements furieux. De sonores voix d’enfants leur répondirent du cercle des feux où j’aperçus trois jeunes garçons qui se levaient. Je me hâtai de les rassurer et ils accoururent vers moi en rappelant leurs chiens qu’avait surtout excités l’apparition de ma Dianka. J’allai au-devant des enfants.

Je m’étais trompé en les prenant pour des marchands. C’étaient les fils de quelques moujiks du village voisin et ils gardaient là un troupeau de chevaux. On est obligé dans cette saison de les mener paître à la prairie la nuit car le jour les taons et œstres ne leur donneraient pas de repos. Et c’est pour les jeunes gars une partie de plaisir de mener aux prés tout un troupeau et de le ramener sain et sauf au point du jour. Chevauchant tête nue sur les plus vifs poulains, au galop, ils crient, rient, gesticulent et se réjouissent bruyamment. Une colonne jaunâtre de poussière se lève sur leur passage ; de loin on entend leurs gaies galopades ; les chevaux courent les oreilles droites, et en avant de tous, la queue au vent, file un roussin ébouriffé, des grappes de bardane emmêlées dans sa crinière.