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toujours, tirait en maître, et moi comme toujours je tirais mal. Soutchok nous regardait de l’œil d’un homme qui dès l’enfance a été domestique. Il soupirait de temps en temps : « Encore un. » Puis, pour se donner une contenance, n’en finissait plus de se gratter le dos, non par les mains, mais par un remuement particulier des épaules. Le temps restait au beau fixe, de petits nuages blancs s’arrondissaient très haut dans l’air et se miraient dans l’eau. Les joncs murmuraient autour de nous, l’étang çà et là luisait comme de l’acier. Nous nous préparions déjà à regagner le village quand il nous arriva un malheur.

Nous aurions dû remarquer depuis longtemps que l’eau montait dans notre radeau. On avait bien chargé Vladimir de nous en débarrasser au moyen d’une sébile que le prévoyant Ermolaï avait dérobée à une baba. Et cela n’alla pas mal tant que Vladimir s’acquitta de ses fonctions avec zèle : mais à la fin, et comme pour l’adieu, les canards s’élevaient en nuages si épais, si nombreux que nous n’avions plus le temps de recharger. Et nous perdîmes de vue l’état de notre embarcation imprudemment, Ermolaï, en se penchant sur le bord pour saisir un canard mourant, fit incliner le radeau qui aussitôt se recouvrit