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seul dans son jardin. S’ennuie-t-il ? est-il triste ? L’intendant avait eu de grandes craintes. Avant l’arrivée du jeune seigneur, il avait parcouru toutes les izbas des moujiks et fait la cour à chacun. Le chat sentait à qui était la viande qu’il avait mangée, et les moujiks pensaient : « Assez voltiger, mon pigeon, tu vas la danser cette fois, vaurien !… » Au lieu de quoi, ― que dire, Dieu lui-même ne pourrait expliquer cela, ― Vassili Nicolaïtch l’appelle et lui dit, en reprenant haleine à chaque mot : « Que la justice règne dans mon domaine ! N’opprime personne, tu m’entends ? » Et depuis lors, il ne l’a pas fait appeler une seule fois, il vit dans sa maison comme un étranger. L’intendant a repris courage, et les moujiks n’osent aborder Vassili Nicolaïtch ; ils ont peur. Et pourtant le bârine les salue, les regarde affectueusement ; mais plus il veut être aimable pour eux, plus leur ventre se contracte de peur. N’est-ce pas prodigieux ? Ou bien suis-je tombé en enfance ? Je n’y comprends rien, qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Je répondis à Ovsianikov que probablement M. Lioubozvonov est malade.

― Quel malade ! Il est aussi large que haut. Et quel visage ! Si épais malgré sa jeunesse… Que Dieu soit avec lui… Au reste, Dieu le sait…