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Un angora gris ronronnait sur son épaule. Il me reçut, comme il avait coutume, affablement et majestueusement, et nous causâmes.

― Dites donc, Louka Petrovich, lui dis-je, autrefois, de votre temps, la vie était plus douce, n’est-ce pas ?

― À quelques égards, oui, nous avions plus de tranquillité, plus d’aisance. Et pourtant c’est mieux, en réalité, aujourd’hui, et les jours de nos enfants seront meilleurs encore.

― Eh bien, Louka Petrovich, je croyais que vous alliez faire l’éloge de votre bon vieux temps.

― Non pas, je n’ai guère eu à m’en louer. Voilà, par exemple : vous êtes un pomiéstchik, comme votre feu grand-père, eh bien ! vous ne feriez pas ce qu’il faisait, vous n’êtes pas le même homme. Sans doute, nous sommes encore opprimés, mais peut-être le faut-il : on tasse la recoupe sous la meule pour avoir le regain. À coup sûr, je ne reverrai pas, Dieu soit béni, ce que j’ai vu quand j’étais jeune.

― Quoi donc, par exemple ?

― J’ai nommé votre grand-père. C’était un petit potentat. Il nous opprimait. Vous connaissez, sans doute…, comment ne connaîtriez-vous pas votre terre ?… vous connaissez la portion de terrain qui s’étend du champ de Tcheplighine