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par le soleil. Tout à coup, je vis… (ici Radilov frémit malgré lui)… Que pensez-vous ? Un œil s’était entr'ouvert, et sur cet œil, je vis une mouche marcher. Je tombai comme une gerbe et, revenu à moi, je pleurai, pleurai sans pouvoir me calmer.

Il se tut. Je le regardai, puis Olga : je vivrais cent ans que je ne pourrais oublier l’expression de son visage. La vieille dame posa son bas sur ses genoux, tira de son ridicule un mouchoir et essuya comme à la dérobée une larme. Fedor Mikhéitch, à l’improviste, s’élança sur son violon et, dans le but probable de nous distraire, commença d’une voix aigre et sauvage une chanson. Nous tressaillîmes tous et Radilov le pria de se tenir tranquille.

― D’ailleurs, reprit-il, le passé est passé, et peut-être, comme a dit, je crois, Voltaire, tout est pour le mieux.

― Sans doute, dis-je. L’homme sait souffrir, et il n’est pas de sort si misérable qui n’ait une fin.

― Pensez-vous ? dit Radilov. Vous avez peut-être raison. Je me souviens qu’en Turquie j’étais étendu demi-mort à l’ambulance avec une fièvre putride. Nous étions assez mal logés : à la guerre comme à la guerre, n’est-ce