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Qu’est-ce qu’elle dit, docteur, qu’est-ce qu’elle dit ? ― Elle délire, » répondis-je. Je me sentais défaillir. « Allons, dit la malade, tu me disais à l’instant autre chose, tu as pris mon anneau, pourquoi mentir ? Ma mère est très bonne, elle pardonnera, elle voit bien que je meurs ; pourquoi lui mentirai-je, moi ? Ami, donne-moi la main. » Je m’élançai hors de la chambre. Il va sans dire que la mère devina.

« Je ne vous ferai pas languir plus longtemps. Il n’est pas si doux pour moi d’insister sur ces détails cruels. La malade mourut le lendemain. Que le Ciel lui appartienne, dit le médecin en mots entrecoupés de soupirs. Avant d’expirer, elle pria les siens de se retirer et de me laisser seul avec elle. « Pardon, me dit-elle, peut-être suis-je très coupable envers vous, la maladie… Mais sachez que je n’ai jamais aimé personne plus que vous… Ne m’oubliez pas…, gardez mon amour. »

Le médecin se détourna, je lui pris la main.

― Hé, dit-il, parlons d’autre chose. Ne feriez-vous pas volontiers une petite préférence ? Il ne convient guère, voyez-vous, à nous autres, bonnes gens, de nous livrer à ces sentiments poétiques. Nous ne devons avoir, nous autres, qu’une préoccupation si nous voulons la paix.