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ment le goût, ne mangeait que juste pour satisfaire sa faim, et recommandait à ses élèves de suivre son exemple. Il disait que les excès de boisson et de nourriture étaient très nuisibles non seulement au corps, mais aussi à l’âme, et il conseillait de sortir de table ayant encore faim. Il leur rappelait l’histoire du sage Ulysse et de la fée Circé qui n’a pu ensorceler Ulysse uniquement parce qu’il n’avait pas mangé à l’excès, alors que tous ses compagnons furent métamorphosés par elle en pourceaux dès qu’ils se sont empiffrés de mets délicats.

10

La plupart des hommes d’aujourd’hui sont persuadés que le bonheur est de flatter les exigences corporelles. Cet état d’esprit est révélé par l’extension de la doctrine socialiste. D’après cette doctrine, l’homme dont les besoins sont peu développés est une brute, tandis que l’accroissement des besoins est le premier indice de l’homme civilisé, indice de la conscience de sa dignité. Les hommes de notre temps ont à tel point foi en cette fausse doctrine qu’ils ne font que railler les sages qui voyaient le bien de l’homme dans la diminution de ses besoins.

11

Voyez comment voudrait vivre l’esclave. Il veut, tout d’abord, qu’on le mette en liberté. Il pense que, sans cela, il ne peut être ni libre, ni heureux. Il dit : « Si on m’avait donné la liberté, j’aurais été immédiatement heureux. Je ne serais plus obligé d’exécuter les caprices, ni de gagner les bonnes grâces de mon maître ; je pourrais parler à qui me plaira, comme à mon égal ; je pourrais aller où je voudrais sans en demander la permission à personne. »

Mais aussitôt qu’il est en liberté, il se met à chercher