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XXI


Tout à coup la lumière se fit dans l’âme d’Olénine. Il entendit parler le russe, entendit le bruit cadencé du Térek, et au bout de quelques pas il aperçut les eaux brunes et rapides du fleuve, avec ses sables ondoyants, ses bas-fonds, les steppes, la chaîne des montagnes, et de ce côté l’échauguette du cordon et le cheval sellé broutant parmi les ronces. Le soleil se détacha comme un globe rouge du sein des nuages et éclaira gaiement de ses derniers rayons le fleuve, les roseaux, l’échauguette et les Cosaques, parmi lesquels se trouvait Lucas, qui attira involontairement l’attention d’Olénine par son air fier et vigoureux.

Olénine se sentit de nouveau heureux, sans savoir pourquoi. Il était arrivé à un poste cosaque vis-à-vis d’une habitation de Circassiens amis. Il salua les Cosaques, puis entra dans la cabane, où il ne trouva pas ce qu’il cherchait. Les Cosaques le reçurent froidement. Il passa dans le vestibule et alluma une cigarette. Les Cosaques ne firent aucune attention à lui, premièrement parce qu’il fumait, puis parce qu’autre chose les préoccupait. Des Tchétchènes, parents de l’Abrek qui avait été tué, étaient arrivés avec un drogman pour racheter le corps. On attendait les chefs cosaques. Le frère du défunt, grand, bien découplé, la barbe teinte en rouge, avait, malgré ses habits déguenillés, l’air calme et majestueux d’un souverain. Il ressemblait d’une manière frappante à son frère. Il n’honorait personne d’un regard, ne jeta pas même les yeux sur le cadavre, et restait accroupi sur ses pieds croisés, fumant une pipe courte, et donnant de temps à autre, d’une voix gutturale et impérieuse, quelques ordres à son compagnon. C’était évidemment un djighite qui