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Il se souvint involontairement du Patfaynder de Cooper, des Abreks, et, voyant la mine mystérieuse du vieux, il se demandait si c’était uniquement la chasse ou bien le danger qui la provoquait.

« Eh ! c’est l’empreinte de mes pieds, à moi », répondit-il simplement.

Et il lui montra sur l’herbe la piste à peine visible d’une bête.

Le vieux avançait ; Olénine ne le quittait plus. Au bout de quelques vingtaines de pas, ils descendirent une pente et arrivèrent à un poirier branchu sous lequel la terre était noire et où l’on voyait les traces du séjour d’un cerf.

Cet endroit, tout enchevêtré de pampres sauvages, avait l’aspect d’un charmant berceau de verdure ombragé et frais.

« Il y a été ce matin, dit le vieux en soupirant ; le gîte est encore chaud. »

Un violent craquement retentit subitement à dix pas d’eux. Ils tressaillirent et saisirent leurs fusils ; on ne voyait rien, on n’entendait que le craquement des branches qui se brisaient. Un galop rapide et cadencé retentit un moment ; le craquement se perdait dans le lointain et faisait place à un bruit sourd, qui, en s’éloignant, se répandait dans la profondeur du bois.

Olénine était saisi ; il cherchait en vain du regard dans le taillis, et se tourna enfin vers le vieux Cosaque. Jérochka était immobile, son fusil convulsivement serré contre sa poitrine, son bonnet sur la nuque, ses yeux brillant d’un éclat extraordinaire ; sa bouche béante laissait méchamment à découvert ses vieilles dents jaunâtres ; il avait l’air pétrifié.

« Un vieux cerf ! » articula-t-il enfin.

Et, jetant son fusil à terre, il s’arrachait la barbe.

« Il était là !… Il fallait approcher par le sentier… Imbécile ! idiot !… Imbécile ! cuistre ! » répétait-il en continuant à s’arracher la barbe.