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d’alarme « les Français approchent » lui fit instantanément refluer le sang au cœur, il sentit ses joues pâlir et se glacer, et resta une seconde frappé de stupeur ; puis, jetant les yeux alentour, il vit les soldats boutonner leurs capotes et se glisser dehors, les uns après les autres, et il entendit l’un d’eux, Melnikoff probablement, dire en plaisantant : « Allons, mes enfants, offrons-lui le pain et le sel ».

Volodia et Vlang, qui ne le quittait pas d’une semelle, sortirent ensemble et coururent à la batterie. D’un côté comme de l’autre, l’artillerie avait cessé son tir. La méprisable et cynique poltronnerie du junker, plus encore que le sang-froid des soldats, eut pour effet de ranimer son courage. « Lui ressemblerais-je ? » se dit-il en s’élançant vivement vers le parapet auprès duquel étaient placés les mortiers. De là il vit distinctement les Français franchir en courant un endroit libre de tout obstacle et venir droit sur lui. Leurs baïonnettes, étincelant au soleil, s’agitaient dans les tranchées les plus voisines. Un zouave de petite taille, aux épaules carrées, un sabre à la main, courait en avant des autres, sautant par-dessus les fossés. « À mitraille ! » cria Volodia en s’élançant de la banquette ; mais les soldats y avaient déjà pensé, et le bruit métallique de la mitraille lancée d’abord par le premier mortier, ensuite par le deuxième, gronda au-dessus de sa tête. « Premier, second », commanda-t-il, et il traversa en courant l’espace entre les deux canons, oubliant complètement le danger. Des cris et le crépitement des fusils du bataillon chargé de la défense de notre batterie s’entendaient d’un côté, et tout à coup, à gauche, s’éleva une clameur désespérée répétée par plusieurs voix : « Ils viennent par derrière », et Volodia, se retournant, aperçut une vingtaine de Français ; l’un d’eux, un bel homme avec une barbe noire, courut vers lui et, s’arrêtant à dix pas de la batterie, tira sur lui à bout portant et reprit sa course. Volodia, pétrifié, n’en croyait pas ses yeux ! Devant