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d’abord ressentie à le voir revenir au village pendant son congé, mais qu’ensuite son père l’avait envoyé travailler aux champs tous les jours, pendant que M. le lieutenant forestier envoyait chercher sa femme en drochki. Volodia s’amusait de tous ces récits ; il n’avait plus la moindre crainte, et les fortes émanations qui emplissaient leur réduit ne lui causaient aucun dégoût ; il se sentait, au contraire, très gai et en très agréables dispositions.

Plusieurs soldats ronflaient déjà. Vlang s’était également couché par terre, et le vieil artificier, ayant étendu sa capote sur le sol, se signait dévotement et marmottait les prières du soir, lorsqu’il vint à Volodia la fantaisie de sortir pour voir ce qui se passait dehors.

« Retire tes jambes ! » se dirent aussitôt les soldats les uns aux autres en le voyant se lever, et chacun ramena ses jambes à soi pour le laisser passer.

Vlang, qu’on croyait endormi, se redressa et saisit Volodia par le pan de sa capote.

« Voyons, n’y allez pas, pour quoi faire ? lui dit-il d’un ton larmoyant et persuasif ; vous ne savez pas ce que c’est ! il pleut des boulets là-bas, on est mieux ici. »

Mais Volodia sortit sans l’écouter et s’assit sur le seuil même de leur logement, à côté de Melnikoff.

L’air était frais et pur, surtout après celui qu’il venait de respirer ; la nuit était claire et calme ; à travers le roulement de la canonnade, on entendait le bruit que faisaient les roues des télègues apportant les gabions, et les voix de ceux qui travaillaient à la poudrière ; au-dessus des têtes brillait le ciel étoilé, que rayaient les sillons lumineux des projectiles ; à gauche se voyait une petite ouverture d’une archine de haut conduisant à un autre abri blindé, où l’on apercevait les pieds et les dos des matelots qui y demeuraient et qu’on entendait causer ; en face s’élevait le tertre qui recouvrait la poudrière, devant laquelle des figures ployées en deux passaient et repassaient : sur le haut même de l’éminence exposée aux balles et aux obus, qui