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sphère épaisse et lourde, se détachaient plusieurs têtes tournées vers le lecteur, qui écoutaient avidement. Koseltzoff reconnut l’A b c d à cette phrase : « Pri-è-re après l’é-tu-de. Je te rends grâces, mon Cré-a-teur ».

« Mouchez la chandelle, cria quelqu’un. — Quel bon livre ! » reprit le lecteur, qui se disposait à continuer ; mais, à la voix de Koseltzoff appelant le sergent-major, il se tut ; les soldats se remuèrent, toussèrent et se mouchèrent, ce qui arrive toujours après un silence forcé ; le sergent-major, boutonnant son uniforme, se leva du milieu d’un groupe, et, enjambant ses camarades, leur marchant sur les pieds, que, faute d’espace, ils ne savaient où fourrer, s’approcha de l’officier.

« Bonjour, mon garçon ! c’est toujours notre compagnie ?

— Salut à Votre Noblesse ! nous vous félicitons d’être de retour, répondit le sergent-major gaiement et avec bonhomie. Vous êtes-vous remis, Votre Noblesse ? Eh bien, Dieu soit loué, car vous nous avez bien manqué ! »

Koseltzoff, on le voyait, était aimé dans sa compagnie ; on entendit aussitôt des voix se communiquer la nouvelle que l’ancien chef de compagnie était revenu, celui qui avait été blessé, Koseltzoff, Mikhaïl Sémenovitch. Quelques soldats, entre autres le tambour, vinrent le saluer.

« Bonjour, Obanetchouk ! lui dit Koseltzoff ; es-tu sain et sauf ? — Bonjour, mes enfants ! » ajouta-t-il ensuite en élevant la voix.

Les soldats répondirent en chœur :

« Salut à Votre Noblesse !

— Comment ça va-t-il, mes enfants ?

— Ça va mal, Votre Noblesse ; le Français a le dessus ; il tire derrière les retranchements, mais il ne se montre pas dehors.

— Eh bien, qui sait ? j’aurai peut-être la chance de le voir sortir de ses retranchements, mes enfants. Ce ne sera pas la première fois que nous irons ensemble et que nous le battrons !