Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« C’est mon frère ; il arrive de Pétersbourg.

— Ah ! et moi j’en ai fini, je crois ! Dieu que je souffre ! Si cela pouvait cesser plus vite. »

D’un mouvement convulsif il retira sa jambe. Les orteils remuèrent avec un redoublement d’agitation ; il se couvrit la figure de ses deux mains.

« Il faut le laisser tranquille, il est très mal », leur dit la sœur à l’oreille ; elle avait les yeux pleins de larmes.

Les frères, qui s’étaient décidés à aller au cinquième bastion, changèrent pourtant d’avis en sortant de l’ambulance et convinrent, sans se communiquer la vraie raison, de se séparer pour ne point s’exposer à un danger inutile.

« Trouveras-tu ton chemin, Volodia ? lui demanda son aîné ; du reste, Nikolaïeff te conduira à la Korabelnaïa ; pour le moment je vais y aller seul, et demain je serai chez toi. »

Ils ne se dirent rien de plus à cette dernière entrevue.


XI


Les canons grondaient avec la même violence, mais la rue Ekathérinenskaïa, que suivait Volodia accompagné du silencieux Nikolaïeff, était vide et calme. Il n’apercevait dans l’obscurité que des murs blancs, debout au milieu de grandes maisons effondrées, et les pierres du trottoir qu’il longeait ; il se croisait parfois avec des soldats et des officiers, et, en passant du côté gauche, près de l’Amirauté, il aperçut, à la vive clarté d’un feu qui flambait derrière une clôture, une rangée d’acacias au triste feuillage couvert de poussière, plantés depuis peu le long du trottoir et soutenus par leurs tuteurs peints en vert. Ses pas et ceux de Nikolaïeff, qui respirait bruyamment, résonnaient seuls dans le silence. Ses pensées étaient vagues : la jolie sœur de charité, la jambe de Martzeff avec ses doigts agités