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— Pourquoi cela ? Allons plutôt ensemble, dit Volodia ; j’irai avec toi au bastion ; cela ne revient-il pas au même ? Il faut bien s’y habituer ! Si toi tu y vas, pourquoi n’irais-je pas ?

— Tu feras mieux de n’y pas aller.

— Laisse-moi y aller, je t’en prie ; je verrai du moins ce que c’est…

— Je te conseille de ne pas y aller, mais après tout… »

Le ciel sans nuages était sombre, les étoiles et les feux des décharges et des bombes qui volaient dans l’espace brillaient dans l’obscurité : la tête de pont et la grande construction blanche de la batterie se détachaient dans la nuit noire ; toutes les secondes, quelques coups de feu, quelques explosions ébranlaient l’air, ensemble ou isolément, toujours plus fort, plus distinctement ; le murmure lugubre des flots accompagnait ce roulement incessant ; une bise fraîche imprégnée d’humidité soufflait de la mer. Les frères s’approchèrent du pont : un milicien porta gauchement l’arme au bras et s’écria :

« Qui vive ?

— Soldat !

— On ne passe pas.

— Impossible ! il faut que nous passions.

— Demandez à l’officier. »

L’officier sommeillait, assis sur une ancre ; il se leva et donna l’ordre de laisser passer.

« On peut y aller, on ne peut pas revenir. — Attention ! Où vous fourrez-vous, tous à la fois ? » cria-t-il aux voitures arrêtées à l’entrée du pont et dans lesquelles s’entassaient des gabions.

Sur le premier ponton ils rencontrèrent des soldats causant à haute voix.

« Il a reçu l’équipement, il a tout reçu.

— Eh ! mes amis, dit une autre voix, quand on parvient à la Sévernaïa, on renaît ! L’air y est tout autre, vrai Dieu !