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— Eh bien ! que fait-on, là-bas ? Ça chauffe ?

— Oh ! terriblement. »

Et l’officier galopa plus loin. La fusillade semblait faiblir ; en revanche, la canonnade avait repris avec une nouvelle vigueur.

« Hum ! mauvaise affaire ! » pensa Kalouguine.

Il éprouvait une sensation mal définie, fort désagréable ; il eut même un pressentiment, c’est-à-dire une pensée très ordinaire,… la pensée de la mort.

Kalouguine avait de l’amour-propre et des nerfs d’acier : c’était, en un mot, ce qu’on est convenu d’appeler un brave. Il ne se laissa point aller à cette première impression, il ranima son courage en se rappelant l’histoire d’un aide de camp de Napoléon, qui revint auprès de son maître la tête ensanglantée, après avoir transmis un ordre en toute hâte.

« Vous êtes blessé ? lui demanda l’empereur.

— Je vous demande pardon, sire, je suis mort », répondit l’aide de camp.

Et, tombant de cheval, il expira sur place.

Cette anecdote lui plaisait ; se mettant en imagination à la place de cet aide de camp, il cingla son cheval, prit une allure encore plus « cosaque », et, se réglant d’un regard sur son planton qui le suivait au trot debout sur ses étriers, il atteignit l’endroit où l’on devait descendre de cheval. Là il trouva quatre soldats qui fumaient leurs pipes, assis sur des pierres.

« Que faites-vous là ? leur cria-t-il.

— Nous avons transporté un blessé, Votre Noblesse, et nous nous reposons, dit l’un d’eux, cachant sa pipe derrière son dos et ôtant son bonnet.

— C’est ça ! vous vous reposez ! En avant ! à vos postes ! »

Il se mit à leur tête et s’avança avec eux le long de la tranchée, rencontrant des blessés à chaque pas. Au sommet du plateau il tourna à gauche et se trouva, quelques pas plus loin, complètement isolé. Un éclat de bombe siffla