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lancé de la terre de tous les côtés ; un petit morceau a manqué nous frapper ! »


VI


Le prince Galtzine rencontrait, toujours en plus grand nombre, des blessés portés sur des brancards, d’autres qui se traînaient à pied ou se soutenaient entre eux et parlaient bruyamment.

« Quand ils sont tombés sur nous, frères, disait d’une voix de basse un soldat de haute taille qui portait deux fusils sur ses épaules, — quand ils sont tombés sur nous en criant : « Allah ! Allah[1] ! » ils se poussaient les uns les autres. On tuait les premiers, et d’autres grimpaient derrière. Rien à faire, il y en avait ! il y en avait !

— Tu viens du bastion ? demanda Galtzine en interrompant l’orateur.

— Oui, Votre Noblesse.

— Eh bien ! que s’est-il passé là-bas ? Raconte.

— Ce qui s’est passé, mais, Votre Noblesse, sa force nous a entourés ; ils grimpent sur le rempart, ils ont eu le dessus, Votre Noblesse.

— Comment ! le dessus ? mais vous les avez repoussés ?

— Ah ! bien oui, repoussés ! Quand toute sa force est venue sur nous ! il a tué tous les nôtres, et pas de secours ! »

Le soldat se trompait, car la tranchée nous était restée ; mais, chose étrange et que chacun peut constater, un soldat blessé dans une affaire la croit toujours perdue et terriblement sanglante.

« On m’a pourtant dit que vous les aviez repoussés, reprit avec humeur Galtzine ; c’est peut-être après toi ? Y a-t-il longtemps que tu as quitté ?

  1. Nos soldats, habitués à se battre avec les Turcs et à entendre leurs cris de guerre, racontent toujours que les Français criaient de même : « Allah ! »